Alors voilà …
D’expérience, je ne vais pas m’étendre sur ce qu’ « infirmière » sous-entend au sens propre du terme professionnel ; c’est à dire PRODIGUER DES SOINS, qui sont de toutes sortes, dans le panel que nous accorde notre nomenclature d’actes conventionnés. Des actes rémunérés, mal payés, décotés, mais des actes qui définissent notre profession d’ « infirmière libérale ».
En étant assez pessimiste je pense que ce terme n’existera plus dans quelques décennies – si ce n’est dans la prochaine. Nous existerons toujours en tant qu’être humain, pas d’inquiétude / sauf big bang, le professionnel infirmier aussi ; mais le professionnel libéral lui : non. Alors évidemment, nous existerons sous une autre forme, dans des centres médicaux, dans une « médecine de proximité » (ils adorent ce mot, on dirait le graal…), regroupés en CPTS, ou sous la coupelle de l’hôpital… cela reste à voir, mais des soignants para-médicaux conventionnés qui vont voir la population la plus simple à domicile = non. Nous allons observer un déremboursement des actes, une augmentation de la prise en charge par les mutuelles et bien évidemment pour ceux qui n’en ont pas (une mutuelle et des sous hein^), une santé à deux vitesses…
Certes, ce n’est pas très gai, mais il faut prendre cette vague dans le bon sens si on ne souhaite pas se retrouver dans le rouleau, la tête sous l’eau à ne plus pouvoir respirer et être noyé. Réfléchir en pleine conscience, sans se voiler la face… La transition va être difficile, mais sachez que la population et les gouvernements successifs s’y affèrent depuis un moment : ils ne veulent plus de libéraux, de professionnels avec des régimes autonomes et spéciaux, cela ne convient pas, nous sommes des nantis à leurs yeux… et surtout : on a beaucoup trop de pognon. N’est ce pas ?
Un autre aspect de ma réflexion se base sur le client. Il y a peu, nous avons appris au fur et à mesure à les appeler des « clients ». Même si je n’aime pas particulièrement ce terme, il me permet de passer à autre chose. Ma pensée évolue, et ce terme me paraît moins moche au fil du temps. Parce que tout simplement, je me sens de moins en moins respectée en tant que soignante. Est-ce un ras le bol, une évolution de dynamique personnelle, une nouvelle ligne de conduite ?
Car, vous vous y êtes tous confrontés plus d’une fois j’en suis sûre, les à-côtés, les aléas, les petits plus, les services prennent beaucoup trop de place dans cette vie de soignant… Qui, je le rappelle, est là pour prodiguer des soins rémunérés.
Je vais aller plus loin : connaissez vous des personnes qui travaillent gratuitement ? réponse : oui, bingo : les IDELs. Mais personne n’en a assez ? Ce n’est jamais suffisant « juste » les soins (un acte d’hygiène, bas de contention avec une prise de sang, où seulement le premier est finalement rémunéré …) ?
Comment cela se fait-il que le client ne soit jamais rassasié ? Pourquoi devons nous toujours nous plier à plus d’exigences et de demandes ? Quelle est la brèche à ne pas franchir, quelles sont les limites ? Qui pose les limites ? Quid de l’éducation de nos patients, du respect et de la politesse ?
Comment se fait il que votre passage se transforme en factrice pour quelques lettres. En coursière pour la pharmacie ? En livreuse de tubes à laboratoire ? En girouette plus forte que superman négociant ses horaires de soins toutes les 30 minutes dans une journée au téléphone et en voiture dont vous ne supportez plus la sonnerie retentissante : vous arrivez à changer 2 fois un horaire de passage pour un client « trop occupé » / oui, car vous, vous enfilez des perles toute la journée… En acheteuse/livreuse de repas et d’eau quand il fait trop chaud ou quand la famille et l’auxiliaire sont en vacances ? En copine sympa sur qui la famille va déverser toute sa haine, sa tristesse et ses angoisses pendant 30 minutes chaque jour pendant trois mois ? En oreille qui doit écouter surtout les plaintes, les maux, et quand il n’y en a pas ou peu, les aléas de l’estomac dû au repas de la veille ??? Nous sommes UN DEVERSOIR A TOUT…
Mon top 10 =
comment se fait il que vous vous transformiez en personne à qui on peut se permettre de faire « coucou » sur un réseau social après un soin unique au cabinet.
Peut être une ouverture pour aller boire un verre ? Quelle est cette pensée saugrenue ?
Mais pour qui nous prend on ?
Pourquoi devrions nous subir tout cela ?
Depuis quand infirmière = sous-humain ?
A quel moment l’IDEL est devenue une multitude de personnes professionnelles, d’étiquettes et de servitudes ?
Comment prendre suffisamment de hauteur et d’humanisme pour que l’empathie ne devienne pas un mode de vie emmenant les soignants vers un burn out pré-défini en IFSI ?
Infirmière depuis plus de 15 ans, j’ai vu les conditions de travail hospitalière se dégrader, le manque de personnel, les fermetures de lit, la mise en place de la T2A, le changement pratiqué au sein des équipes dirigeantes, le marasme ambiant, le burn out et les suicides ; puis en libéral le changement le plus affreux à mon sens = la consommation de la santé…
Oui, tout a changé car les gens consomment la santé. Les patients veulent être soigné par des médicaments performants, des docteurs (pleins de docteurs, alors que, suspense : il n’y en a plus…) quitte à en voir une dizaine différente pour une infection urinaire puisqu’une gêne persiste depuis trois jours malgré le début d’une antibiothérapie ; ou au choix, être traité dans les dix minutes le dimanche soir aux urgences quitte à taper la première IDE qui passera par là car apparemment : elle ne fait rien… Une violence inouïe et des rapports humains dégradés opposés à une culture de la performance et du beau, joli & musclé, mince & en bonne santé. Deux mondes s’opposent littéralement, ceux qui consomment la santé et qui ne s’offusquent pas de voir 4 boîtes de sets de soins pleines de plastique pour les deux points faits aux urgences sur le petit doigt, et les autres qui vous demandent si vous pouvez récupérer le restant, si une association existe pour les envoyer peut être en Afrique ; et si les pinces vertes et bleues se recyclent… -ah, la pharmacie ne les récupère pas ? – c’est bien dommage. – Non : ils jettent, c’est moins cher, elle est belle l’éthique.
En fait, je trouve, que les gens ont un comportement ambivalent… Ils veulent être soigné mais dans leurs termes, leurs conditions sans n’avoir aucun savoir, mise à part la consultation de doctissimo. Donc au départ, ils écoutent ou font semblant, et ils remettent systématiquement en question ce qui vient d’être expliqué : car ils se sont renseigné ailleurs, ou leur cousine éloignée a regardé pour eux sur le vidal de 1978.
Bientôt ils iront dans la cabine de l’avion expliquer au pilote ce qu’il doit faire ? Non, arrêtons, ce n’est plus possible…
« L’ambivalence est un des états présents dans la schizophrénie. Elle est définie par l’apparition simultanée de 2 sentiments opposés à propos de la même représentation mentale : il s’agit d’hésiter entre plusieurs sentiments, attitudes ou désirs vis-à-vis d’une personne ou d’une situation. L’ambivalent passe ainsi de l’amour à la haine, du désir au dégoût, de l’envie au rejet. Cela complique sa prise de décision. Souvent, la décision n’est que partiellement suivie, et peut aboutir à un acte contraire à celle-ci. L’ambivalence induit des changements de comportement et d’état psychologique. »
source : doctissimo (lol)
A nous de trouver notre place dans ce monde de consommation de la santé ambivalent, de défendre nos valeurs et ce qui nous anime pour pratiquer des soins et notre cœur de métier. A nous d’éduquer les patients à l’être « patient » et à se remettre en question sur leur mode de vie, leur intolérance et leur irrespect vis à vis de nous. Les
patients ont des attentes ; étonnamment, nous aussi !
Sommes nous réellement conscients que nous avons engendré ces comportements chez les gens ? Que nous avons engendré cette ignorance des pouvoirs publics vis à vis de nous ? Notre mutisme dû à la dévotion du soin nous aura mangé…
Posons nous des questions ensemble, et au delà des débats sur la vaccination antigrippale, abandonnée de tous (déjà ! sic), viennent maintenant la téléconsultation chez le pharmacien… encore une fois, aucun débat lancé avec nos instances et nos syndicats ?
Vous êtes nombreux à vous inquiéter sur notre avenir professionnel et la Carpimko, preuve en est avec le calculateur Delevoye dont vous avez pris d’assaut la consultation et le calcul (3000 personnes en 24h) : à quelle sauce vais-je être mangé ? une augmentation de 80% des cotisations, pas pour moi !! : si si… est-ce que comme 70% des cabinets para-médicaux je vais devoir fermer si cette réforme passe : la réponse est : oui, certainement…
Il est temps de se réveiller… Et ça commence par : nous respecter nous-mêmes individuellement comme des êtres humains.
Merci pour ton article….
Tout à fait juste , depuis 79 date à laquelle j’ai commencé le libéral tout est fait systématiquement pour nous démolir , c’est vrai que si nous voulons vraiment garder nos patients dépendants nous devons être multifonctions car tout le monde se décharge sur nous : pas de famille présente , des assos nullissimes et l’absence de plus en plus forte de médecins voulant bien se déplacer , le déplacement lui m devient un problème dans les villes péripheriques d’ile de france : pas de place , payant , enlèvement de véhicule meme non génant , bref on sent de partout qu’on dérange … et cependant je ressent encore de la gratitude d’etre considérée comme une amie ou un membre de la famille par des patients de longue date , les autres ce n’est pas pareil : sms rdv dim soir 22h pour le lendemain 7h .. ah je ne peux pas , ils sont pas contents et demandent comment ça se fait, je les attendais sans doute! bref insultes , démarchages abusifs , menaces gouvernementales en tout genre auront ils raison de moi? pour une retraite à taux plein il me reste 3 ans … j’espère échapper au pire mais j’augure mal de la suite..
Bonjour Cécile,
J’ai partagé ton article qui est traduit parfaitement notre mal être. Si les politiques ne veulent plus de nous, qu’au moins ils nous donnent les moyens de nous reconvertir…j’ai dû arrêter brutalement mon activité sur un burn-out (non pris en charge par l’assurance car je ne suis pas passée par la case HP). Je me suis retrouvée sans revenus et en dettes. Aucun droit à formation pour une reconversion. Bref, on nous massacre en silence.
Grâce au soutien de mon conjoint je m’en suis sortie. Merci à lui.
bonjour alors plus d’éditeur de logiciel non plus et plein d’autre chose pour rester terre à terre!!!
wake up c’est un peu tard!!
pour moi encore une dizaine et je pourrais peut être m’arrêter même si la retraite sera maigre…on y faire autre chose…
triste réalité que celle de votre article dont je parle beaucoup en ce moment à mes patients (certains ) et autour de moi ..
bonne journée
Bonjour !
Comme tout cela fait écho à mon ressenti …et j’en suis profondément attristée. Diplomée en 1979 , j’ai cessé mon activité en Mars de cette année, après presque 40 ans d’excercice libéral. J’ai eu un doute mais mon épuisement physique et moral était tel que je souhaitait une maladie ou un accident pour avoir le Droit de m’arrêter….Mais ce Burn out nous n’y avons pas le droit…. braves petits soldats que nous sommes…que j’étais… J’ai eu la chance de vendre ma patientèle et je suis aussi pessimiste pour la profession… Profession qui pour moi fait partie d’une autre vie. Bon courage !!!
Bonjour,
Idel depuis plus de dix ans, j’ai vu mes conditions de travail se détériorer au fil du temps. Je me retrouve parfaitement dans votre article si bien écrit. Sur le terrain de 6h30 à 20h30 et plus avec une pause de plus en plus réduite le midi, je rentre chez moi parfois épuisée. Car il est vrai que les familles ont de plus en plus d’exigences. Loin de leur proches, elles les laissent entre nos mains secourables. Alors ça commence avec les prises de RDV docteur, pédicure, coiffeur, achat de chaussures de confort, passages répétés à la pharmacie et ça finit par l’accompagnement du chien renversé par une voiture chez le vétérinaire et le règlement des frais un dimanche… parce qu’il n’y a personne!!! à part nous! Quel sentiment de solitude chez certains patients! Mais peut-on pour autant ne pas faire sous prétexte que ce ne sera pas rémunéré? laisser une personne âgée sans traitement si personne ne va à la pharmacie? L’infirmière « bonne à tout faire » est devenue une sorte de normalité puisque effectivement elle est grassement payée et certains ne se privent pas de le dire!!
Je suis d’accord pour dire que dans moins d’une décennie il n’y aura plus de libéraux dans notre profession. Depuis,un an le nombre de prescriptions de pansements et injections a fortement diminué à cause de l’ambulatoire mais on nous appelle quand même pour venir voir telle ou telle plaie suspecte car les gens sont livrés à eux-mêmes! sans ordo bien sûr! Nous sommes acculés de charges et l’augmentation des prélèvements ainsi que les nouveaux actes tels que la téléconsultation ou autres évolutions technologiques seront à mon avis impossibles à financer. HAD nous fait beaucoup de tort.
Nous venons de supprimer un poste au cabinet. A présent tout départ ou décès dans notre patientèle met notre cabinet en danger! Je ne travaillerai ni pour la gloire ni pour des clopinettes! Notre savoir infirmier mérite mieux que ça! Alors tant pis je changerai de métier s’il le faut même à plus de 50 ans et notre village deviendra un désert infirmier ou plutôt un lieu où ceux qui auront les moyens de payer pourront rester chez eux ! Et quid des autres? peut-être va-t’il falloir songer à recréer des hospices ?
Bravo ! Je me sens comprise et reconnue dans ce commentaire !
Ça fait du bien
Bonjour Cécile,
je lis toujours vos commentaires sur Infimax, ils sont plein d’entrain, d’optimisme et d’humour. Par contre, votre dernier article m’interpelle: une réelle clarté dans la politique de santé qui se pratique depuis quelques années se fait jour. Celle du dénigrement de notre fonction au sein du système de santé et professionnels et ,depuis peu, par les clients.
En quittant le milieu hospitalier il y a 12 ans, je cherchais à retrouver une place de soignante dans son terme le plus noble, à domicile. Les différents politiciens successifs ont réussi aussi à toucher le libéral en créant les maisons pluridisciplinaires (à long terme, création salariale), en bradant nos actes avec le BSI. Combien de temps avant la disparition de l’infirmière libérale? Le moment est proche……..