System broken VS reset system …

Cela fait bien longtemps que je n’ai pas écrit, et de coucher ces mots sur le papier font devenir les choses bien plus réelles et en fait moins drôles qu’il n’y paraît : le système est complètement cassé.

Le Robert dit ceci, «Système : ensemble de pratiques organisées en fonction d’un but.»

Le but du système de santé serait, dans l’idéal, de prendre soin, de guérir, d’accompagner … et même mieux, l’OMS2 a regroupé ses objectifs : amélioration de la qualité et de l’équité de la santé, capacité de répondre aux attentes de la population

Alors voilà, je ne pense pas beaucoup m’avancer en constatant que ce système est brisé, il va falloir le réparer les gars !

Ces derniers jours, comme pour couper court aux interrogations innombrables de malades las des allers-retours chez les médecins/hôpitaux/cliniques qui n’ont de sens que la route qu’ils empruntent ; je réponds seulement « oui, le système est cassé, et finalement : c’était assez prévisible », en souriant.

Bizarrement, ils me répondent juste « oui » tristement, et la conversation s’arrête là, ils en ont bien conscience, c’est ancré, à coups de médias en boucle sur les crises que le pays traverse.

Pas besoin d’épiloguer pendant des heures, les prescriptions ne sont pas à jour, ils n’ont pas pu poser de questions, ou n’ont pas eu le temps d’entendre les réponses, le bon de transport pour la prochaine fois est introuvable, il a perdu sa carte vitale dans l’ambulance, les médicaments sont manquants, les bilans sang incomplets et les soins infirmiers à domicile toujours plus  » all inclusive « … Je venais pour une souscutanée de Neulasta* (ndlr à 8e58c brut), je suis restée 45 minutes à trier les papiers du patient car : il est perdu, comme c’est étonnant, et tellement redondant…

Voici ce qu’est devenu notre travail d’IDEL : secrétaire privée du patient (paraît qu’on a des imprimantes et des scanners alors on gère les RDV, les appels, les ordos manquantes , les devis de mutuelles en ligne ; cependant je n’ai toujours pas trouvé cet acte dans notre nomenclature obsolète « organisation du parcours de soin du patient »), aide-soignante, infirmière, secrétaire médicale, auxiliaire de vie, et dame-qui- passe-voir-si-tout-va-bien (ça c’est le nouveau soin inventé par certains médecins pour les familles qui ne veulent pas payer d’auxiliaire de vie ou qui n’en trouvent tout simplement pas, il prescrit un deuxième et/ou troisième passage IDE pour « voir si tout va bien » ; moi je me marre bien, car je cherche encore où est le soin infirmier dans « voir si tout va bien » ? Il est introuvable dans le Code de Santé Publique qui reprend la Bible NGAP3 ).

Je suis comme une tablette Sun 4en1, je fais tout, c’est hyper commode.

Alors même que nous commençons à vivre un nouveau souffle, à respirer, comme par exemple à retirer le papier bleu ultra sexy de nos visages pour la plupart de nos visites, le système sanitaire est lui, parti à volo …
C’est dommage, je commençais à apprécier le printemps, les petits oiseaux, à rêver de vacances les pieds dans le sable chaud, à ne me soucier de rien … J’imaginais un sommeil profond … Ne pas stresser du lendemain, reprendre le cours de nos vies comme avant, mais en fait « avant », je m’en rappelle maintenant : c’était déjà le bord**. Sauf que nos cerveaux bien dressés d’infirmiers l’avaient refoulé comme il faut pour pouvoir charbonner devant l’urgence … « Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort »4, mantra inscrit en gros et gras sur notre diplôme. Et là, il nous revient comme un boomerang désarticulé.

C’est un sacré anniversaire, nous avons passé : trois ans à cacher nos sourires sous des masques, pour pallier au plus pressé, monter des centres covid/vaccination, travailler en coordination, s’aider les uns et les autres, trier, prioriser et prendre soin des plus âgés et des plus fragiles … Bref on a donné quand même, on s’est suradapté ! On mérite … heu ? On mérite quoi ? La réponse est simple : apparemment rien.

On nous a : rien donné.

Ah si pardon, les fameux 4cts pendant 6 mois à cause de la hausse tarifaire de l’essence. Mais ça c’est ok, next, ils nous l’ont retiré. L’essence, elle, n’a pas baissé, quand il y en a. Mépris encore : round 37.

On peut au moins se dire une chose : on ne leur doit rien, et ça c’est une de vérité, alors n’oubliez pas de le formuler quand vous arrivez à l’entrée du Paradis des Nonnes, à 64 ans, peut-être que vous aurez une fête surprise gratos avec de jolis cotillons.

Nous reste donc désormais les miettes de ce que ce pauvre hôpital, qui fait ce qu’il peut avec rien, et qui se délite, nous donne : des prises en charges débraillées, des patients (qui portent bien leur nom) attendant 18h aux urgences pour 4 points de suture au milieu de la main, des retards de diagnostics, de l’errance médicale, des erreurs en veux-tu en voilà, des choses d’un non-sens absolu, le tout saupoudré d’une violence physique et psychologique intolérable … C’est devenu apocalyptique … Et tout ça : c’était bien prévisible, c’est pas comme si on découvrait le pot aux roses …

Sauf qu’on le vit vraiment les gars : ça y est ! On y est.

On pensait peut-être que le covid arrangerait les mentalités excessives et égocentrées ? Il n’en est rien. Que les soignants seraient respectés par les patients, leur famille ? Pas vraiment, nous sommes définitivement enracinés dans la consommation du soin, c’est un dû. Que les soignants hospitaliers allaient retrouver du sens à leur métier grâce au Segur de la santé, ce qui aurait tout arrangé, n’est-ce pas ? Vous connaissez la réponse, c’est non …

Rien ne s’est passé comme prévu.

Car tout est cassé.

Du début à la fin.

Il est bien malheureux de le dire comme ça, mais je suis sûre que vous le vivez de la même manière que nous tous les jours : les RDV médicaux impossibles, les RDV spécialistes du domaine du magique, les secrétariats d’oncologie qui sonnent dans le vide, ou occupé, ou encore au bout d’une attente de 15 min sans musique (pas la peine), te donnent cet automate merveilleux « votre correspondant ne répond pas, rappelez plus tard ». Tut tut tut. J’aimerais tellement parler à un humain, des fois, juste pour l’interpeller « Sérieusement madame, les gens vous ne pouvez pas les laisser comme ça, on n’a pas idée ! »

Mais je le sais au fond de moi, qu’ils ne peuvent pas faire autrement, ils sont au maximum, si ce n’est plus. Ils sont sous l’eau, et ils font ce qu’ils peuvent, comme nous. Avec le peu d’énergie qu’il nous reste …

Nous gérons désormais les urgences du week-end de patients dans une errance médicale pitoyable : patiente en soins palliatifs vue une fois tous les trois mois : « Ah salut, tu la connais cette dame ? Bah le SAMU est venu hier soir chez elle, mais ils ont rien fait devant des rectorragies importantes, je n’ai pas le temps de la voir et c’est la patiente d’une collègue absente, peux-tu passer rapidement la bilanter, si l’hémoglobine est mauvaise et que tu la trouves bof, tu la fais hospitaliser (j’aimerais avoir ce genre de pouvoir vois-tu … lol), ah oui tu peux passer, bah c’est sympa hein^^ désolée pour la patate chaude, je faxe l’ordonnance au labo, je pars en week end,merci hein^^ ».

« Ce n’est absolument pas de ma compétence docteur. » Bipbipbip. Elle a déjà raccroché…

Débrouilles-toi … Le système est cassé.

Je suis toujours dans l’attente depuis trois semaines de l’ordonnance de ce « passage en urgence rapido » de 1h00 ; oui la patiente a rappelé le Samu le soir quand j’ai vu le bilan et a eu des transfusions. Elle est seule, âgée, isolée, et elle fait comme elle peut … dans un système qui ne la considère que comme un numéro de protocole de soins dont on doit s’occuper malgré tout, parce que ça ne se fait pas de laisser tomber les gens malades; (…) mais dans la réalité du terrain, quand on est pas hors sol, force est de constater que, personne n’a vraiment le temps de rendre digne sa fin de vie

Les patients sont terrorisés à l’idée d’être hospitalisés, ils le refusent même la plupart du temps, les familles ne veulent plus les placer en Ehpad et retardent cette échéance au maximum, tout se fait maintenant dans l’urgence et dans des conditions plus que difficiles, inhumaines et sans âme.

Avouons-le, l’offre de soin en ville n’est pas à la hauteur, dans les zones reculées ou non, c’est sensiblement la même chose, car la densité y est tout simplement supérieure …

Alors quelle serait réellement la solution ? IPA5 ? Certains de nos confrères médecins ne sont pas du tout enchantés, et ne nous voilons pas la face, s’ils ne veulent pas, ça ne fonctionnera pas … Me S.Bauer présidente du SML6 en tête de proue de cette contestation, a une vision bien patriarcale du sujet, attention ça pique. Pour elle « les IPA n’ont pas les compétences pour établir un primo-diagnostic, les IDE ne sont pas en capacité avec deux pauvres années supplémentaires d’études de faire quoique ce soit, c’est un exercice illégal de la profession et c’est une insulte à la profession médicale »7 8. Et mieux, pour elle : les IDE sont bien incapables de faire un diagnostic clinique9. Oui je sais, c’est carrément insultant et méprisant, qu’on soit bac+4 ou 5, qu’on ait fait ou non des DU, des master, de la consultation infirmière, des formations supplémentaires … quand je pense qu’on se débrouille de plaies les plus complexes seul(e)s et depuis des années (ce droit de prescription gratuit, encore, qui arrange bien tout le monde), que nous gérons les dosages d’AVK, d’insulines – sans déranger les médecins car ils ont autre chose à faire, et nous en sommes tout à fait conscients -, surveillons les résultats de bilans, les alertons quand il y a un problème sans vraiment le nommer pour ne pas dire « il est en insuffisance cardiaque », « il fait un OAP » « il a une phlébite » « c’est un érysipèle » « il a une infection » (…) et laisser ce diagnostic au plus compétent en lui donnant les informations nécessaires et pratiques pour l’établir … Moi je pensais naïvement effectuer un travail d’équipe, respectueux, de qualité, pour tous arriver au même but : être au service de la santé du patient.

Mais en même temps, même si les IPA les soulageaient un tant soit peu, dans un monde de bisounours où tout le monde s’accorderait sur leur utilité, sont-elles/ils suffisants vue l’ampleur de la tâche ? Les assistants médicaux, les aides-soignants, les auxiliaires de vie ? Les internes maltraités, les étudiants en soins infirmiers qui cessent leurs activités en 2ème année ? Les suicides de toutes ces professions en augmentation constante ? Les Ehpad et les Cliniques qui font des claquettes pour recruter ?

Les soignants sont partis, ils ne reviendront pas … et les survivants ne sont plus en nombre suffisant pour accomplir les missions du soin telles qu’elles devraient être, des prises en charges correctes, multi-professionnelles, consciencieuses et efficaces.

Alors que va-t-il se passer ? Va-t-on regarder le bateau couler ?

Je crois que oui, et nous coulons avec lui … Le système que nous connaissons est cassé, il nous a tellement méprisé, les gens se sont résignés, la coque s’est fendue, elle est irréparable, et je pense qu’il ne faut pas s’y accrocher.

Nous entrons dans des heures très sombres … le mode Reset – Start Over est enclenché car le système doit se réinventer.

Cecillio IDEL, avril 2023

1 Titre : système cassé versus redémarrage du système

2 Organisation Mondiale de la Santé

3 Nomenclature Générale des Actes Professionnels

4 Nietzsche

5 Infirmière en Pratique Avancée

6 Syndicat des Médecins Libéraux

7 hEps://www.lequo4diendumedecin.fr/liberal/exercice/une-pra4que-illegale-de-la-medecine-par-les-ipa-lesml-interpelle-lordre-sur-les-proposi4ons-de

8 hEps://www.dailymo4on.com/video/x8gs3se

9 hEps://www.coulisses-tv.fr/index.php/documentaires/item/28288-santé-en-france-l-état-d-urgence-mardi-21-mars-2023-sur-france-2-avec-léa-salamé-michel-cymes

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